




Chapitre 5
Je n'arrive pas à décider ce qui est le plus magnifique, les deux hommes devant moi ou la Maison du Crépuscule.
Je suis assise Ć la table Ć manger, les mains serrĆ©es sur mes genoux, me sentant totalement dĆ©placĆ©e au milieu des somptueux dĆ©cors de la Maison du CrĆ©puscule. Vienne avait insistĆ© pour que je me joigne Ć elle et Ć deux autres pour le dĆ®ner, promettant sĆ©curitĆ© et soin. Mais alors que je jette un coup d'Åil nerveux aux deux figures assises en face de moi, je ne peux m'empĆŖcher de ressentir une inquiĆ©tude qui se tord dans mon estomac.
Les jumeaux occupent l'espace entre les candélabres en argent de la salle à manger comme des mythes légendaires. Ils sont célèbres pour leur manipulation des ombres, les Maîtres Espions de la Maison du Crépuscule. Farouchement loyaux envers le Roi de Minuit, ils portent plus d'armes que de vêtements, leurs bras tatoués et musclés pleinement exposés. Tous deux ont des yeux perçants de couleur violette, la seule différence étant que l'un d'eux a la moitié de ses cheveux noirs de jais, longs jusqu'aux épaules, rasée.
La table devant nous est dressée avec de la porcelaine exquise et des couverts étincelants, témoignage de la richesse et du pouvoir des habitants. Au-delà des fenêtres, j'aperçois ce qui pourrait être une ville tentaculaire, ses lumières scintillantes comme des étoiles éparpillées dans le ciel nocturne. Malgré les efforts de Vienne pour me faire sentir la bienvenue, je ne peux m'empêcher de me sentir comme un agneau conduit à l'abattoir.
Figurativement et littƩralement.
Vienne glisse à mes cÓtés, son sourire chaleureux et accueillant. "Voici Kallias," dit-elle en désignant celui avec la tête à moitié rasée, "et Rhodes."
Je force un petit sourire en retour, bien que mon cÅur continue de battre la chamade avec apprĆ©hension. Je ne trouve pas ma voix. Pas aprĆØs Xaden et les cris.
"Bienvenue," Kallias incline la tête en guise de salut, ses yeux violets m'évaluant avec un mélange de curiosité et autre chose, quelque chose de plus sombre qui me fait frissonner. Rhodes, quant à lui, reste silencieux, son expression impénétrable tandis qu'il me regarde avec un regard perçant.
J'offre aux jumeaux un hochement de tête hésitant en retour, me sentant comme une souris prise dans le regard de deux prédateurs affamés.
"Qu'est-ce qui lui est arrivé, bon sang ?" demande Kallias à Vienne lorsque je ne réponds pas.
Vienne ne prend même pas la peine de cacher son dégoût. "Xaden."
Rhodes renifle dans son vin, tandis que Kallias m'offre un sourire chaleureux. "Xaden est un putain de connard," m'assure le jumeau le plus aimable, puis il se penche en arriĆØre, me regarde de haut en bas et sourit en coin. "Les jolies petites filles comme toi feraient mieux de me tenir compagnie."
Vienne lui donne une tape Ć l'arriĆØre de la tĆŖte. Une chaleur m'envahit ā mĆŖme de l'humour. Et pour la premiĆØre fois depuis mon arrivĆ©e ici, je ressens autre chose que la peur.
Ma voix n'est qu'un murmure, mais je la trouve tout de mĆŖme. "Ce que Xaden m'a fait n'est rien comparĆ© Ć ton Haut Seigneur tuant ma sÅur."
Le visage de Kallias se dĆ©compose lĆ©gĆØrement. S'il y a un cÅur parmi ces hommes, c'est bien le sien. "Keiran a fait quoi ?"
Kieran.
Je n'ai jamais rencontrƩ un homme assez courageux pour prononcer son vrai nom.
Aussi vite que l'Ć©tincelle de flirt et de vie Ć©tait apparue, elle disparaĆ®t. Et soudain, je suis de retour dans la salle du trĆ“ne de ma mĆØre, Reiyna saignant devant moi. Il me faut un moment pour calmer mon cÅur.
"S'il vous plaƮt," les larmes me piquent de nouveau les yeux, "je veux juste rentrer chez moi."
Les réponses du Cercle Intérieur du Roi sont mesurées, leurs expressions impénétrables alors qu'ils échangent un regard chargé de signification non dite. Je ne peux m'empêcher de sentir qu'ils en savent plus qu'ils ne le laissent paraître, qu'il y a des secrets cachés derrière leurs façades gardées.
"Rassure-toi, tu es en sécurité ici," me rassure Kallias, bien que le regard sur le visage de son frère ne fasse rien pour apaiser ma peur.
Il ment. Ils mentent tous.
Mais pas Rhodes. Il parle pour la première fois de la soirée pour me donner une part de vérité.
"Tu n'es pas en sƩcuritƩ," la voix du jumeau est plus basse que je ne l'avais imaginƩe. "Si tu fuis, je te chasserai, et si je te rattrape, je te tuerai."
"Essaie de manger quelque chose," dit lentement Vienna, me regardant comme si je pouvais soudainement me jeter par les fenêtres ouvertes et dévaler la falaise de la montagne. Rhodes me regarde comme s'il pourrait me jeter lui-même. "Les sorcières arrivent dans dix jours."
Dix jours. C'est tout ce qu'il me reste Ć vivre ?
Kallias me regarde avec une intensité sombre. Il m'a appelé plus tÓt et m'a demandé de sortir et de jouer. Peut-être que si lui et son jumeau ne me feront pas grâce, les Maîtres Espions me donneront au moins des informations.
Je soutiens son regard jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche. Sa voix est mesurée et calme. "Que sais-tu des sorcières ?"
Que sais-je ? Vienna m'avait posé la même question des heures plus tÓt. C'est comme s'ils ne pouvaient pas en parler eux-mêmes, comme si je devais deviner ce que veulent les sorcières.
Je prends une généreuse portion de purée de pommes de terre dans mon assiette avec une main tremblante. Quand je laisse tomber ma fourchette, tout le monde le remarque. Surtout Rhodes. "Seulement un cauchemar du Roi de Minuit, qu'il a volé la magie des terres et vit dans une terre stérile et froide. Cependant," une salade de haricots verts enrobée de menthe, "il ne fait pas très froid ici."
Vienna et Kallias Ʃchangent un regard. Rhodes aiguise une lame.
Kallias lève un sourcil cicatrisé. Il est intéressé par moi, intéressé à me connaître. Je dois utiliser son attention à mon avantage.
« La Maison est protégée par des charmes, tout comme ta chambre », explique-t-il en se penchant en avant et en tirant la fourchette en argent de ma main avec un regard impassible. Sa peau effleure la mienne, je ne recule pas. « Les fenêtres sont grandes ouvertes, mais seuls ce que nous choisissons d'apporter est laissé entrer. »
Je prends une grande inspiration de cette douce brise. Jasmin. Ća sent comme lui. Ni les espions ni le Pirate ne manquent de remarquer le rougissement qui monte Ć mes joues au souvenir. Du Roi de Minuit, de la faƧon dont ses doigts ont effleurĆ© mes lĆØvres.
Quand je reviens au moment prƩsent, Kallias sourit.
Oui, Kallias est intƩressƩ.
« S-s'il vous plaît, » je me penche en avant sur mon siège, « dites-moi ce qu'il veut de moi. »
Le maître espion aux yeux violets et mesurant deux mètres se penche en arrière dans son fauteuil et croise les bras. J'ai atteint un mur avec lui, pour une raison quelconque, je ne sais pas.
Vienna me lance un regard, offrant une explication. Ā« Les histoires que ton peuple raconte sont fausses, Ā» elle pique une salade de roquette avec sa fourchette. Ā« Ce n'est pas notre Roi qui veut quelque chose de toi, ce sont les sorciĆØres. L'Offrande est quelque chose que nous devons accomplir pour elles. Ā»
Je fronce les sourcils. « Le Roi doit accomplir cela pour les sorcières ? Je pensais qu'il était le Seigneur Suprême le plus puissant. »
Un autre regard entre Kallias et Vienna. Rhodes semble être follement intéressé par les veines de mon cou.
Kallias se penche en avant, posant ses coudes bronzés sur la table en marbre noir. « Les sorcières sont les seules capables de transférer la magie du sang à la subsistance. Notre Roi en dépend autant qu'elles dépendent de toi. »
Dix jours à vivre. Dix jours pour s'échapper.
Je me penche en avant, de plus en plus impatient. « Mais pourquoi avez-vous besoin de moi ? Je n'ai rien volé à votre peuple ou à vos terres. »
Les piliers en pierre de lune qui nous entourent résonnent alors que Rhodes aiguise son couteau une fois de plus. Je sursaute de mon siège au bruit.
Vienna semble chargée d'annoncer la nouvelle. « Les contes de fées que tu connais sur notre roi sont faux, » dieux au-dessus, elle me regarde comme un oiseau blessé, « L'histoire de ton enfance raconte que ton ancêtre est venu sur nos terres et a cueilli une fleur, n'est-ce pas ? »
Je hoche la tĆŖte. Je connais l'histoire.
« Eh bien, ton ancêtre a fait plus que cueillir la fleur, » Vienna semble plus mal à l'aise que jamais, « pour s'assurer qu'elle ne pourrait pas être volée par nos ennemis, ils... l'ont ingérée. »
La panique à ce stade est une compagne familière. Elle frappe l'arrière de mon cou et raidit mes épaules. Ingérée. Cela signifierait que ma connexion avec mon ancêtre... Je regarde mes poignets nus, les veines bleues sont plus proéminentes par manque de sommeil et de stress. La magie se transmet de génération en génération. La magie est dans mon sang.
Ce que cherche le Roi de Minuit, ce dont le plus puissant Haut Seigneur des siĆØcles a besoin pour restaurer sa gloire, est en moi.
Je me sens faible.
Une partie de moi passe en mode logique. RƩflƩchis, Remi, que ferait Reiyna ? Comment se battrait-elle ? Comment nƩgocierait-elle ? Marchanderait-elle ?
Mais la partie la plus réelle de moi est emportée par le vent infusé de jasmin. Ma vision est toute blanche. Toute noire. Et avant que je puisse penser, avant que je puisse élaborer une stratégie, calme et posée comme une rivière à marée basse, je lève mon couteau à steak et le plante dans la main de Rhode.
Le monde entier devient silencieux. Les oiseaux, la montagne, mĆŖme le vent, tout s'arrĆŖte.
« Rhodes », avertit une voix familière. Je suis trop loin dans les nuages pour même enregistrer de qui il s'agit. Ce que je viens de faire. « L'Offrande est en état de choc. »
Si Rhode avait l'air de vouloir me tuer avant... ce niveau de haine... c'est quelque chose de nouveau. J'ai entendu les lĆ©gendes de ces jumeaux. De Rhode, le cĆ©lĆØbre Chasseur de Primes qui a une fois vaincu dix mille hommes Ć mains nues. Comment il a une propension Ć arracher les cÅurs battants de ses victimes.
La voix du Chasseur de Primes est toute en tranchant. « Vienne, éloigne-la de moi. »
Mes yeux se tournent directement vers la rousse qui, je peux le dire, lutte pour rester composƩe. Vienne ouvre la bouche, mais une autre voix parle.
Ā« Vous devrez excuser mon frĆØre, Ā» Kallias me fait un clin d'Åil. MalgrĆ© toute l'obscuritĆ© qui se rassemble dans la piĆØce autour de son jumeau, Kallias ne semble pas le moins du monde dĆ©rangĆ©. En fait, il semble relativement amusĆ© que j'ai poignardĆ© la main de son frĆØre ā reconnaissant mĆŖme. Le jumeau plus gentil fait tournoyer son gobelet de vin et en boit une profonde gorgĆ©e. Ā« Il n'aime pas jouer avec sa nourriture. Ā»
Les jointures de Rhode blanchissent. Ā« Elle est l'Offrande, pas notre animal de compagnie. Ā»
L'Offrande.
Pas une offrande.
Depuis un pilier de pierre de lune éloigné, je sens la présence de la mort et de la terreur. Xaden n'a pas besoin de s'approcher davantage. Je sais qu'il est là , avec son masque à moitié en acier.
Il me regarde, le sang coulant autour de la main de Rhode, avec une expression indéchiffrable. Puis il incline légèrement la tête, se tourne vers le balcon ouvert surplombant la ville, et saute dans rien d'autre que l'air de la montagne.
Peut-être que le Roi de Minuit a raison dans son hypothèse de mon choc, car le Tueur de Démons sautant du cÓté de sa maison ne me fait aucun effet.
Ā« Je change mon vote, Ā» Rhode se lĆØve de sa chaise avec la chaleur de la colĆØre. Il ne semble parler Ć personne en particulier. Ā« Je suis d'accord avec Xaden, nous devrions la tuer. Ā»