




Chapitre trois
***KIERAN ***
Le voyage de retour vers les Terres Autrefois Perdues est plus difficile avec l'Offrande enveloppée dans mes bras. Pas à cause de son poids, c'est une petite chose frêle - mais à cause de la magie qui s'amenuise. Il ne nous reste plus grand-chose à tous.
Mais vu la facilité avec laquelle cette Offrande s'est mise à genoux et a ouvert sa jolie petite bouche... nous récupérerons bientÓt notre magie. Jusqu'à la dernière goutte.
Voyager à travers les terres est tellement épuisant. Tout est tellement épuisant. Même avec mon sang, je ne pourrai pas faire un autre voyage de retour, même les sorcières le savent. Et elles cesseront bientÓt de me prêter la magie qui maintient mes terres en vie - les forêts, les prairies, les créatures.
Je frémis à cette pensée.
Celle-ci doit ĆŖtre la bonne.
Elle est tout ce qu'il nous reste.
Quand je franchis les portes d'entrƩe de la Cabane, je sens que mon Cercle IntƩrieur m'attend. Les gƩnƩraux de guerre et les conseillers qui traƮnent sont assez sages pour savoir qu'il faut s'Ʃcarter. Rien n'est plus important que l'Offrande.
Je me faufile Ć travers le couloir couvert de lanternes qui mĆØne Ć la coupe de la montagne et traverse la cour Ć ciel ouvert. Un temps parfait, comme toujours, parfaitement suspendu dans le temps.
Ć quelle vitesse pourrions-nous tous pourrir si le temps reprenait son cours normal ?
Ć quelle vitesse les sorciĆØres nous tueront-elles si nous ne livrons pas l'Offrande ?
J'entre dans la partie principale de la maison et trouve mon Cercle Intérieur étendu sur divers meubles. Nate et Rhodes sirotent un verre au bar en chêne cerisier, Vienne se ronge les ongles près du feu, et Raelisar - Raelisar n'est jamais très loin.
Un vent trop fort pour une terre immortelle attire l'attention des jumeaux. Nate et Rhodes me montrent le rare respect de se tourner vers moi.
"La suite est-elle prĆŖte ?" je leur demande.
Vienne ne cesse pas de se ronger les ongles mais hoche la tĆŖte. D'une ombre lointaine et familiĆØre, je sens Xaden grogner.
Xaden déteste les Offrandes plus que les autres. Et avec sa magie qui s'amenuise - avec toute notre magie qui s'amenuise, j'imagine qu'il lui sera plus difficile qu'à la plupart de retenir l'envie de lui trancher la gorge.
Vienne me conduit silencieusement dans le couloir jusqu'Ć la suite en face de sa chambre. Ma demi-sÅur a toujours eu une fascination pour la princesse Solis. Elle leur tresse toujours les cheveux et les emmĆØne faire des balades Ć cheval avant que les SorciĆØres n'arrivent.
Cela ne change jamais le rƩsultat. Elles finissent toujours brisƩes.
Je dépose l'Offrande sur le lit bleu royal. Bleu royal pour les couleurs de sa famille. Pour la mettre plus à l'aise.
Vienne hésite un instant avant de refermer une chaîne en métal autour de son poignet. Elle la laisse à moitié ouverte, pour que l'Offrande puisse s'échapper et se promener dans la pièce.
Je dƩcide pour une raison quelconque de faire semblant de ne rien remarquer.
« Ont-ils été surpris par l'échange ? » demande Vienne. Elle parle du plus âgé au plus jeune.
Je m'appuie contre le pilier du lit à baldaquin de l'Offrande. Vienne fait de même de l'autre cÓté. « Ils sont toujours surpris par l'échange. »
Xaden doit ĆŖtre quelque part ailleurs, ou simplement dĆ©sintĆ©ressĆ©. Le Tueur de DĆ©mons ne se soucie que de faire saigner les Offrandes. Cependant, Kallias et Rhodes traĆ®nent Ć la limite de la piĆØce, essayant de jeter un coup d'Åil Ć la petite biche. Ils sont assez intelligents pour savoir que je les dĆ©couperai en morceaux s'ils s'aventurent plus loin.
Pourtant, cela ne les empĆŖche pas d'essayer de voir la petite biche. Ā« Qu'en est-il des informations selon lesquelles ils tentaient de vous tromper ? Ā» demande Kallias depuis l'encadrement de la porte. Il est plus subtil que Rhodes avec son regard, mais je peux dire qu'il serait d'accord avec moi pour dire que cette Offrande est plus jolie que la plupart.
Je ne me retourne pas pour lui répondre. Que mon silence réponde à sa question. Le royaume de Solis trouve toujours un nouveau moyen de nous tromper tous les cent ans. Chaque génération de la famille Solis est toujours la même. Ils pensent qu'ils sont spéciaux.
L'air de l'ocƩan est plus froid que d'habitude contre ma peau. Je n'aime pas la faƧon dont cela fait frissonner l'Offrande. Un hiver froid approche. Un hiver que nous n'avons pas eu depuis dix mille ans.
La premiĆØre lumiĆØre de l'aube menace l'horizon. Je ferme les yeux et profite du dernier moment de repos. Moi, contrairement aux autres, je ne suis rien Ć la lumiĆØre du jour. Le Roi de Minuit doit rester dans les ombres de la nuit et du mythe.
« Vienne est la seule autorisée dans cette pièce, » je menace les jumeaux en quittant mon poste et me dirigeant vers la porte. « N'interagissez pas. »
« Nous savons, » disent les jumeaux en même temps. « Les règles ne nous échappent pas, » dit Rhodes, son irritation évidente dans son ton.
Nous sommes une maison de bords rugueux. Des tueurs et des maîtres de la torture. Ne pas toucher à l'Offrande est la seule règle que nous avons.
« Ne touchez pas aux Offrandes, » je dis, juste pour m'assurer que mes espions m'entendent. Avant de venir travailler pour moi, Rhodes et Kallias étaient destinés à être rois eux aussi, et même des siècles plus tard, ils ne sont toujours pas tout à fait habitués à recevoir des ordres.
Parce qu'un roi est habitué à obtenir ce qu'il veut, qui il veut, et cette Offrande... cette Offrande est désirée par nous tous. Et nous ne touchons pas aux Offrandes parce qu'elle doit rester pure. Une vierge. Une petite biche.
Nous ne touchons pas aux Offrandes.
Nous les tuons juste et buvons leur sang.