




II. Lié par le devoir, déchiré par le désir
Eksel fit rouler son cou, grimaçant lorsque celui-ci craqua bruyamment.
Il se tenait au milieu de la grande salle, avec ses hommes derrière lui et le Comte Arrion en face de lui. Un silence emplit la pièce, la laissant froide et vide dans son sillage.
Eksel lança un regard noir au Comte Arrion, se demandant s'il méritait vraiment son titre. Il nota son corps frêle et la manière dont il tremblait de peur.
"Je suis sûr qu'ils vont descendre bientôt, Jarl Agnar," balbutia Arrion, la sueur dégoulinant de son front.
Eksel inclina la tête, la fatigue commençant à envahir son esprit. Il avait voyagé pendant deux semaines pour venir chercher la fiancée de son frère. Son frère, le parfait garçon doré qui devait sûrement piller un village à ce moment précis.
Pourquoi avait-il été si pressé de prendre l'épouse que leur père avait choisie pour lui?
Eksel ne savait pas. D'après ce qu'il savait, son frère aimait prendre des femmes dans chaque village qu'il ravageait. Il n'avait pas besoin d'une épouse.
"Je ne suis pas Jarl Agnar," grogna-t-il.
"Ah bon?" questionna Arrion, ses yeux scrutant par-dessus l'épaule d'Eksel les hommes qui l'accompagnaient.
C'étaient les hommes d'Eksel. Les hommes que personne d'autre ne voulait. Mais Eksel se moquait de leur apparence ou de leur façon de parler. Il voulait simplement ceux qui pouvaient tuer sans remords. Ceux qui n'avaient pas de famille à retrouver chez eux.
"Qui êtes-vous?"
Eksel le regarda et grogna, ne ressentant pas le besoin de s'expliquer devant le lâche qui avait donné sa propre fille à un parfait inconnu.
Surtout parce que cet inconnu était son père.
Arrion se tortilla mal à l'aise, tordant ses mains ensemble, "J'ai fait préparer un repas pour vous et...vos hommes."
Il regarda le Comte d'un air perçant alors que des servantes entraient avec de la nourriture et de la bière. Il se tourna vers ses hommes avec un sourcil levé, secouant la tête.
"Donnez-moi la fille et nous partirons," murmura Eksel, sa patience s'épuisant, bien qu'il n'en ait jamais eu beaucoup au départ.
Il n'était pas une personne sociable et évitait les gens à tout prix, rendant ses compétences sociales inutilement indisposées. Il était juste là pour faire le travail que son frère lui avait demandé. Il était là contre son gré mais loyal malgré tout.
Il aimait son frère, à sa manière. Agnar était toujours à ses côtés et l'avait aidé de façons qu'il n'admettrait jamais à personne.
Tout le monde savait qu'Eksel était tourmenté. Son village parlait de lui à voix basse. Les mères racontaient à leurs enfants des histoires sur le frère maléfique qui viendrait les trouver la nuit s'ils refusaient d'écouter.
On pouvait voir le tourment dans ses yeux, mais par quels démons était la question à laquelle personne ne connaissait la réponse.
C'était un secret qu'Eksel gardait précieusement.
Agnar était le seul à le savoir, et Eksel lui en était redevable pour ça.
Arrion inspira lentement, ses narines se dilatant, "Ma fille. S-sûrement, nous pouvons trouver un autre accord?"
Eksel saisit la poignée de son épée. Le lâche se dérobait et bien qu'il se moquât de la fiancée de son frère, il avait soif de sang. Un accord rompu était une raison suffisante pour déclencher une guerre.
Les yeux d'Arrion s'écarquillèrent en remarquant l'épée attachée à la hanche d'Eksel, "N-non, je me demandais juste si cela ne méritait pas une autre conversation."
Eksel sourit, son torse se gonflant d'un rire brisé, "Peux-tu parler aux morts?"
Arrion pâlit encore plus et secoua la tête.
"Alors comment comptes-tu trouver un autre accord avec mon père?"
"Ton père?"
Eksel plissa les yeux, les ricanements et les éclats de rire de ses hommes n'apaisant guère la démangeaison irritante qui montait dans sa poitrine. Oui, son père, qui avait deux fils. Ou les gens oubliaient-ils si facilement son existence en plaçant Agnar sur un piédestal?
Le Comte devint rouge, la colère forçant ses mains à se serrer en poings.
Il allait interroger Arrion sur son plan pour ces poings lorsqu'une voix douce attira l'attention d'Eksel.
Il se redressa, se tournant pour faire face à la petite femme qui s'approchait lentement d'eux.
Immédiatement et à sa grande surprise, son cœur se serra à cette vue, mais il mordit fermement sa langue jusqu'à goûter le sang cuivré.
C'était comme un choc pour son système. Si surprenant qu'il manqua presque de remarquer l'homme plus âgé qui marchait à ses côtés. Tout ce sur quoi il pouvait se concentrer était la femme époustouflante qui le regardait avec un léger froncement de sourcils.
Il ne pouvait pas nier qu'elle était belle. Ses longs cheveux bruns encadraient parfaitement son visage, ses yeux noisette étaient envoûtants et s'accordaient avec un petit nez droit et des lèvres petites mais charnues.
Sa silhouette était menue et elle semblait se rétrécir en se tenant devant lui. Ses joues prenaient une teinte plus foncée de rose et ses yeux allaient et venaient entre Eksel et son père.
Les oreilles d'Eksel brûlaient alors qu'il la regardait, et il fut submergé par une sensation de conscience de soi. Ils le regardaient tous, n'est-ce pas?
Il fronça les sourcils, n'aimant pas les pensées qui envahissaient sa tête. Il était venu pour elle pour son frère, il n'avait pas à la considérer comme sienne.
Il n'était pas habitué à des femmes aussi vulnérablement petites. Pas habitué à des yeux grands ouverts qui le regardaient avec curiosité plutôt qu'avec peur. Pas habitué à vouloir goûter de si petites lèvres boudeuses.
Avec un rictus, il regarda son homme de confiance, Sten, qui le fixait avec un sourcil levé.
Peut-être qu'il n'était pas aussi doué pour cacher ses émotions.
Il grogna, essayant de se vider la tête et fit un pas vers Elva, qui poussa un cri de surprise à son avancée soudaine.
Arrion fit un pas vers Elva mais fut arrêté par l'épée de l'un des hommes.
Alors qu'Eksel se tenait devant elle, il la détailla de haut en bas. Il prit en compte chaque courbe de son corps, la vue de sa peau légèrement bronzée mais douce le fit se demander à quel point son frère serait en colère s'il prenait sa fiancée.
Il tendit la main vers elle.
"A-attendez," souffla-t-elle désespérément, ses yeux s'élargissant. Elle lança un regard alarmé à son père, secouant la tête de peur.
Le cœur d'Eksel battait plus fort au son de sa voix suppliante, mais il continua à la regarder avec colère. Rapidement, il la saisit par la taille et la jeta sur son épaule. Elle cria, frappant son dos, criant à plusieurs reprises de la déposer.
Eksel se tourna pour faire face à Arrion une dernière fois et inclina la tête.
Arrion resta là, la bouche grande ouverte. Il était sans voix, incapable de bouger alors qu'il regardait l'homme emporter ce qui lui était le plus cher.
Eksel grimaça d'agacement aux coups de poing qu'elle lui donnait dans le dos. Il grogna pour lui-même alors que lui et ses hommes se dirigeaient vers leurs chevaux.
Elva se débattait toujours dans ses bras, lui disant ce qu'elle pensait lorsqu'il s'arrêta à côté de son cheval. Il la fit glisser de son épaule et la posa soigneusement au sol.
"Arrête," grogna-t-il, gardant ses mains sur sa taille.
Ses lèvres s'entrouvrirent alors qu'elle le regardait avec un froncement de sourcils, "Lâchez-moi!"
Il resserra sa prise, marmonnant pour lui-même alors qu'il la soulevait sur le cheval. Elle donna un coup de pied, ses orteils passant dangereusement près de son menton.
Il attrapa sa cheville délicate avec sa main lourde et leva un sourcil vers elle, essayant de toutes ses forces d'ignorer la douceur de sa peau.
"Ne teste pas ma patience, fille."
Ses yeux noisette s'élargirent légèrement avant que la détermination ne la fasse froncer les sourcils et serrer la mâchoire.
"Vous allez me descendre de ce cheval et me ramener à mon père!" cria-t-elle, les poings serrés, les narines dilatées de colère.
Eksel se contenta de se tourner et de la regarder, son expression soudainement froide et dure.
Sten s'approcha d'eux, gardant son regard sur Elva, qui luttait pour se dégager de l'emprise d'Eksel.
"Est-ce qu'on retourne à Gleneg?"
Eksel hocha la tête.
"J'ai envoyé Kos en avant. Nous ne voudrions pas rencontrer-"
"Non, nous ne voudrions pas," grogna Eksel, relâchant la cheville d'Elva.
Sa respiration devint lourde à côté de lui et il secoua la tête, renvoyant Sten d'un signe du menton. Les hommes autour d'eux attendaient des ordres alors qu'Eksel se tournait vers Elva.
"Ne rends pas cela plus difficile que nécessaire."
Sa poitrine se soulevait avec ses respirations lourdes, "Laissez-moi juste dire au revoir."
Eksel essayait de garder ses émotions en échec, mais elle les tirait aussi facilement. Il pouvait sentir sa main tressaillir avec l'envie d'essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues. Mais il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas s'en soucier, pas pour elle.
Il durcit son regard, "Tu as eu sept ans pour dire au revoir."
Il monta sur son cheval, s'installant derrière elle alors qu'elle avalait le sanglot choqué qui secouait sa poitrine. Hésitant, il enroula un bras autour de sa taille, la faisant se raidir.
Il aboya des ordres à ses hommes et ils répondirent par des cris et des railleries. Ils étaient prêts à rentrer chez eux. À manger, se reposer et s'amuser.